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Les sept corbeaux Les six cygnes Les douze frères
Les sept corbeaux - Jacob et Wilhelm Grimm
Un homme avait sept fils et aucune fille, alors qu'il désirait vraiment en avoir une. Mais un jour, sa femme le combla de joie en donnant enfin naissance à une fille. La joie des parents fut immense, mais hélas, le bébé était si petit et si chétif qu'on jugea nécessaire de le baptiser de toute urgence. Le père envoya vite un de ses fils à la source afin qu'il y puisât l'eau du baptême, mais les six autres l'y suivirent et comme chacun voulut être le premier à puiser, la cruche tomba à l'eau. Les sept garçons restèrent là, ne sachant que faire et n'osant surtout pas rentrer chez eux. Ne les voyant pas revenir, le père s'impatienta et dit: "Les garnements sont certainement en train de s'amuser et ont oublié la pauvre petite!" Il avait tellement peur que le bébé meure sans baptême qu'il s'emporta: "Je voudrais les voir tous transformés en corbeaux!" A peine eut-il prononcé ces paroles, qu'il entendit des battements d'ailes au-dessus de sa tête. Il leva les yeux et vit s'envoler sept corbeaux noirs. Les parents ne pouvaient rompre la malédiction et leur peine était immense d'avoir ainsi perdu leurs sept fils. Néanmoins, ils se consolèrent quelque peu en constatant que leur chère petite fille recouvrait ses forces et embellissait de jour en jour. Pendant très longtemps, la petite ignora qu'elle avait eu des frères, car ses parents se gardaient bien d'y faire la moindre allusion. Mais un jour, elle surprit par hasard une conversation à son sujet: on disait qu'elle était bien jolie, mais qu'elle était tout de même responsable du malheur qui avait frappé ses sept frères. Toute bouleversée, elle courut demander à son père et à sa mère si elle avait bien eu des frères et ce qu'il était advenu d'eux. Ses parents ne purent garder le secret plus longtemps. Ils l'assurèrent que seul le ciel avait voulu tout ce qui s'était passé. Sa naissance n'avait été que la cause indirecte de cette malédiction. Cependant, de jour en jour, la fillette se sentait davantage coupable et était persuadée qu'elle devait absolument délivrer ses frères. Elle ne connut ni trêve ni repos jusqu'au jour où elle partit parcourir le vaste monde: elle retrouverait ses frères, où qu'ils soient, et les délivrerait à n'importe quel prix. Elle n'emporta qu'une petite bague en souvenir de ses parents, une miche de pain contre la faim, un cruchon d'eau contre la soif et une petite chaise pour se reposer. Alors elle s'en alla loin, très loin, jusqu'au bout du monde. Elle s'approcha du soleil, mais il était brûlant, effrayant et mangeait les jeunes enfants. Elle s'enfuit à toutes jambes et courut vers la lune, mais celle-ci était glaciale, sinistre et méchante. Lorsqu'elle aperçut la fillette, elle dit: "Je sens, je sens l'odeur de la chair humaine." La petite fille s'éloigna aussi vite qu'elle le put et arriva auprès des étoiles, qui l'accueillirent avec bonté. Chaque étoile était assise sur sa petite chaise personnelle. L'étoile du matin se leva, lui tendit un petit os de poulet et dit: "Sans cet osselet, tu ne pourras pas ouvrir la Montagne de Verre où se trouvent tes frères." La fillette prit l'osselet, l'enroula précieusement dans son mouchoir et reprit sa route jusqu'à ce qu'elle fût arrivée à la Montagne de Verre. La porte était fermée; la petite voulut donc sortir le petit os, mais quand elle dénoua son minuscule mouchoir, il contenait non plus un os de poulet, mais une petite clé en or. Quand elle s'avança à l'intérieur, un nain vint à sa rencontre et lui demanda: "Que cherches-tu, mon enfant?" Et le nain déclara: "Messieurs les corbeaux ne sont pas à la maison, mais si tu veux attendre ici leur retour, entre donc!" Le nain se mit alors à servir le repas des corbeaux dans sept petites assiettes et sept petits gobelets. La petite soeur mangea une bouchée de chaque petite assiette et but une gorgée de chaque petit gobelet; dans le dernier gobelet, elle laissa tomber la bague qu'elle avait emportée avec elle. Tout à coup, on entendit dans l'air des battements d'ailes et des croassements. Le nain dit alors: "Voici Messieurs les corbeaux qui rentrent." Dès qu'ils furent arrivés, ils voulurent manger et boire et chacun chercha donc son assiette et son gobelet. Et comme le septième corbeau arrivait au fond de son gobelet, la petite bague roula devant lui. Il la regarda et reconnut la bague qui avait appartenu à son père et à sa mère. "Mon Dieu! si notre petite soeur pouvait être là", s'exclama-t-il, "nous serions délivrés!" En entendant ce souhait, la fillette, qui se tenait cachée derrière la porte, s'avança vers les sept corbeaux qui retrouvèrent instantanément leur forme humaine. Ils s'embrassèrent chaleureusement, puis reprirent tous ensemble joyeusement le chemin de la maison.
Les douze frères - Jacob et Wilhelm Grimm
1. Il y avait une fois un roi et une reine qui vivaient ensemble en bonne intelligence. Ils avaient douze enfants, mais c'étaient douze garçons. Un jour le roi dit à la reine : 2. - Si le treizième enfant que tu me promets est une fille, les douze garçons devront mourir, afin que l'héritage de leur sour soit considérable, et que le royaume tout entier lui appartienne. 3. Il fit donc construire douze cercueils qu'on remplit de copeaux ; puis le roi les fit transporter dans un cabinet bien fermé, dont il donna la clef à la reine, en lui recommandant de n'en rien dire à personne. 4. Cependant, la mère était en proie à un violent chagrin. Le plus jeune de ses fils, à qui elle avait donné le nom de Benjamin, s'aperçut de sa peine et lui dit : 5. - Ma bonne mère, pourquoi es-tu si triste ? 6. - Cher enfant, lui répondit-elle, je ne dois pas te le dire. 7. Mais l'enfant ne lui laissa point de repos, qu'elle ne l'eût conduit au cabinet mystérieux, et qu'elle ne lui eût montré les douze cercueils remplis de copeaux : 8. - Mon bien-aimé Benjamin, lui dit-elle, ton père a fait construire ces cercueils pour tes onze frères et pour toi, car si je mets au monde une petite fille, vous devez tous mourir et être ensevelis là. 9. Et comme elle pleurait, l'enfant chercha à la consoler en lui disant : 10. - Ne pleure pas, nous saurons bien éviter la mort. La reine reprit : 11. - Va dans la forêt avec tes onze frères, et que l'un de vous se tienne sans cesse en sentinelle sur la cime de l'arbre le plus élevé, les yeux tournés vers la tour du château. J'aurai soin d'y arborer un drapeau blanc si je mets au monde un garçon, et alors vous pourrez revenir sans danger ; si au contraire je deviens mère d'une fille, j'y planterai un drapeau rouge comme du sang ; alors hâtez-vous de fuir bien loin, et que le bon Dieu vous protège. 12. Lorsque la reine eut donné sa bénédiction à ses fils, ceux-ci se rendirent dans la forêt. Chacun d'eux eut son tour de faire sentinelle pour la sûreté des autres, en grimpant au haut du chêne le plus élevé, et en tenant, de là, ses yeux fixés vers la tour. Quand onze jours furent passés, et que ce fut à Benjamin de veiller, il vit qu'un drapeau avait été arboré, mais c'était un drapeau rouge comme du sang, ce qui prouvait trop qu'ils devaient tous mourir. Lorsqu'il eut annoncé la nouvelle à ses frères, ceux-ci s'indignèrent et dirent : 13. - Sera-t-il dit que nous aurons dû subir la mort pour une fille ? Faisons serment de nous venger ! Partout où nous trouverons une jeune fille, son sang devra couler. Cela dit, ils allèrent tous ensemble au fond de la forêt, et à l'endroit le plus épais, ils trouvèrent une petite cabane misérable et déserte. Alors ils dirent : 14. C'est ici que nous voulons fixer notre demeure et toi, Benjamin, comme tu es le plus jeune et le plus faible, tu resteras au logis et te chargeras du ménage nous autres, nous irons à la chasse afin de nous procurer de la nourriture. 15. Ils allèrent donc dans la forêt, et tuèrent des lièvres, des chevreuils sauvages, des oiseaux et des pigeons ; puis ils les rapportèrent à Benjamin qui dut les préparer et les faire cuire pour apaiser la faim commune. C'est ainsi qu'ils vécurent pendant dix années dans la forêt ; et ce temps leur parut court. Cependant la jeune fille que la mère avait mise au monde était devenue grande sa beauté était remarquable, et elle avait sur le front une étoile d'or. Un jour que se faisait la grande lessive, elle remarqua parmi le linge douze chemises d'homme, et demanda à sa mère : 16. - À qui appartiennent ces douze chemises, car elles sont beaucoup trop petites pour mon père ? 17. La reine lui répondit avec un soupir : 18. - Chère enfant, elles appartiennent à tes douze frères. 19. La jeune fille reprit : 20. - Où sont donc mes douze frères ? Je n'en ai jamais entendu parler. 21. La reine répondit : 22. - Où ils sont ! Dieu le sait : ils sont errants par le monde. 23. Alors, entraînant avec elle la jeune fille, elle ouvrit la chambre mystérieuse, et lui montra les douze cercueils, avec leurs copeaux et leurs coussins funèbres. 24. - Ces cercueils, lui dit-elle, étaient destinés à tes frères ; mais ils se sont échappés de la maison avant ta naissance. 25. Et elle lui raconta tout ce qui s'était passé. Alors la jeune fille lui dit : 26. - Ne pleure pas, chère mère, je veux aller à la recherche de mes frères. 27. Elle prit donc les douze chemises, et se dirigea juste au milieu de la forêt. Elle marcha tout le jour, et arriva vers le soir à la pauvre cabane. Elle y entra et trouva un jeune garçon, qui lui dit : 28. - D'où venez-vous, et où allez-vous ? 29. À quoi elle répondit : 30. - Je suis la fille d'un roi, je cherche mes douze frères et je veux aller jusqu'à ce que je les trouve. 31. Et elle lui montra les douze chemises qui leur appartenaient. Benjamin vit bien alors que la jeune fille était sa sour ; il lui dit : 32. - Je suis Benjamin, le plus jeune de tes frères. 33. Et elle se mit à pleurer de joie, et Benjamin aussi ; et ils s'embrassèrent avec une grande tendresse. Benjamin se prit à dire tout à coup : 34. - Chère sour, je dois te prévenir que nous avons fait le serment de tuer toutes les jeunes filles que nous rencontrerions. 35. Elle répondit : 36. - Je mourrai volontiers, si ma mort peut rendre à mes frères ce qu'ils ont perdu. 37. - Non, reprit Benjamin, tu ne dois pas mourir ; place-toi derrière cette cuve jusqu'à l'arrivée de mes onze frères, et je les aurai bientôt mis d'accord avec moi. 38. Elle se plaça derrière la cuve ; et quand il fut nuit, les frères revinrent de la chasse, et le repas se trouva prêt... Et comme ils étaient en train de manger, ils demandèrent : 39. - Qu'y a-t-il de nouveau ? 40. Benjamin répondit : 41. - Ne savez-vous rien ? 42. - Non, reprirent-ils. 43. Benjamin ajouta : 44. - Vous êtes allés dans la forêt, moi je suis resté à la maison, et pourtant j'en sais plus long que vous. 45. - Raconte donc, s'écrièrent-ils. 46. Il répondit : 47. - Promettez-moi d'abord que la première jeune fille qui se présentera à nous ne devra pas mourir. 48. - Nous le promettons, s'écrièrent-ils tous, raconte-nous donc. 49. Alors Benjamin leur dit : 50. - Notre sour est là. Et il poussa la cuve, et la fille du roi s'avança dans ses vêtements royaux, et l'étoile d'or sur le front, et elle brillait à la fois de beauté, de finesse et de grâce. Alors ils se réjouirent tous, et l'embrassèrent. 51. À partir de ce moment, la jeune fille garda la maison avec Benjamin, et l'aida dans son travail. Les onze frères allaient dans la forêt, poursuivaient les lièvres et les chevreuils, les oiseaux et les pigeons, et rapportaient au logis le produit de leur chasse, que Benjamin et sa sour apprêtaient pour le repas. Elle ramassait le bois qui servait à faire cuire les provisions, cherchait les plantes qui devaient leur tenir lieu de légumes, et les plaçait sur le feu, si bien que le dîner était toujours prêt lorsque les onze frères revenaient à la maison. Elle entretenait aussi un ordre admirable dans la petite cabane, couvrait coquettement le lit avec des draps blancs, de sorte que les frères vivaient avec elle une union parfaite. 52. Un jour, Benjamin et sa sour préparèrent un très joli dîner, et quand ils furent tous réunis, ils se mirent à table, mangèrent et burent, et furent tous très joyeux. Il y avait autour de la cabane un petit jardin où se trouvaient douze lis. La jeune fille, voulant faire une surprise agréable à ses frères, alla cueillir ces douze fleurs afin de les leur offrir. Mais à peine avait-elle cueilli les douze lis que ses douze frères furent changés en douze corbeaux qui s'envolèrent au-dessus de la forêt ; et la maison et le jardin s'évanouirent au même instant. La pauvre jeune fille se trouvait donc maintenant toute seule dans la forêt sauvage, et comme elle regardait autour d'elle avec effroi, elle aperçut à quelques pas une vieille femme qui lui dit : 53. - Qu'as-tu fait là, mon enfant ? Pourquoi n'avoir point laissé en paix ces douze blanches fleurs ? Ces fleurs étaient tes frères, qui se trouvent désormais transformés en corbeaux pour toujours. 54. La jeune fille dit en pleurant : 55. - N'existe-t-il donc pas un moyen de les délivrer ? 56. - Oui, répondit la vieille, mais il n'y en a dans le monde entier qu'un seul, et il est si difficile qu'il ne pourra te servir ; car tu devrais ne pas dire un seul mot, ni sourire une seule fois pendant sept années ; et si tu prononces une seule parole, s'il manque une seule heure à l'accomplissement des sept années, la parole que tu auras prononcée causera la mort de tes frères. Alors la jeune fille pensa dans son cour : 57. « Je veux à toute force délivrer mes frères » Puis elle se mit en route cherchant un rocher élevé, et quand elle l'eut trouvé, elle y monta, et se mit à filer, ayant bien soin de ne point parler et de ne point rire. 58. Il arriva qu'un roi chassait dans la forêt ; ce roi avait un grand lévrier qui, parvenu en courant jusqu'au pied du rocher au haut duquel la jeune fille était assise, se mit à bondir à l'entour et à aboyer fortement en dressant la tête vers elle. Le roi s'approcha, aperçut la belle princesse avec l'étoile d'or sur le front, et fut si ravi de sa beauté qu'il lui demanda si elle ne voulait point devenir son épouse. Elle ne répondit point, mais fit un petit signe avec la tête. Alors le roi monta lui-même sur le rocher, en redescendit avec elle, la plaça sur son cheval, et retourna ainsi dans son palais. Là furent célébrées les noces avec autant de pompe que de joie, quoique la jeune fiancée demeurât muette et sans sourire. Lorsqu'ils eurent vécu heureusement ensemble pendant un couple d'années, la mère du roi, qui était une méchante femme, se mit à calomnier la jeune reine, et à dire au roi : 59. C'est une misérable mendiante que tu as amenée au palais ; qui sait quels desseins impies elle trame contre toi! Si elle est vraiment muette elle pourrait du moins rire une fois ; celui qui ne rit jamais a une mauvaise conscience. 60. Le roi ne voulut point d'abord ajouter foi à ces insinuations perfides, mais sa mère les renouvela si souvent, en y ajoutant des inventions méchantes qu'il finit par se laisser persuader, et qu'il condamna sa femme à la peine de mort. 61. On alluma donc dans la cour un immense bûcher, où la malheureuse devait être brûlée vive ; le roi se tenait à sa fenêtre, les yeux tout en larmes, car il n'avait pas cessé de l'aimer. Et comme elle était déjà liée fortement contre un pilier, et que les rouges langues du feu dardaient vers ses vêtements, il se trouva qu'en ce moment même s'accomplissaient les sept années d'épreuve ; soudain on entendit dans l'air un battement d'ailes, et douze corbeaux, qui dirigeaient leur vol rapide de ce côté, s'abattirent autour de la jeune femme. À peine eurent-ils touché le bûcher qu'ils se changèrent en ses douze frères, qui lui devaient ainsi leur délivrance. Ils dissipèrent les brandons fumants, éteignirent les flammes, dénouèrent les liens qui garrottaient leur sour, et la couvrirent de baisers. Maintenant qu'elle ne craignait plus de parler, elle raconta au roi pourquoi elle avait été si longtemps muette, et pourquoi il ne l'avait jamais vue sourire. 62. Le roi se réjouit de la trouver innocente, et ils vécurent désormais tous ensemble heureux et unis jusqu'à la mort.
Traduction de Baudry, E.du Chatenet, Pierre Durand, Ernest Grégoire et Louis Moland, Ilona Lartigue, Armel Guerne.
Les six cygnes - Jacob et Wilhelm Grimm
1) Un jour, un roi chassait dans une grande forêt. Et il y mettait tant de cour que personne, parmi ses gens, n'arrivait à le suivre. Quand le soir arriva, il s'arrêta et regarda autour de lui. Il s'aperçut qu'il avait perdu son chemin. Il chercha à sortir du bois, mais ne put y parvenir. 2) Il vit alors une vieille femme au chef branlant qui s'approchait de lui. C'était une sorcière. - Chère dame, lui dit-il, ne pourriez-vous pas m'indiquer le chemin qui sort du bois ? - Oh ! si, monsieur le roi, répondit-elle. Je le puis. Mais à une condition. Si vous ne la remplissez pas, vous ne sortirez jamais de la forêt et vous y mourrez de faim. - Quelle est cette condition ? demanda le roi. - J'ai une fille, dit la vieille, qui est si belle qu'elle n'a pas sa pareille au monde. Elle mérite de devenir votre femme. Si vous en faites une reine, je vous montrerai le chemin. 3) Le roi avait si peur qu'il accepta et la vieille le conduisit vers sa petite maison où sa fille était assise au coin du feu. Elle accueillit le roi comme si elle l'avait attendu et il vit qu'elle était vraiment très belle. Malgré tout, elle ne lui plut pas et ce n'est pas sans une épouvante secrète qu'il la regardait. Après avoir fait monter la jeune fille auprès de lui sur son cheval, la vieille lui indiqua le chemin et le roi parvint à son palais où les noces furent célébrées. 4) Le roi avait déjà été marié et il avait eu de sa première femme sept enfants, six garçons et une fille, qu'il aimait plus que tout au monde. 5) Comme il craignait que leur belle-mère ne les traitât pas bien, il les conduisit dans un château isolé situé au milieu d'une forêt. Il était si bien caché et le chemin qui y conduisait était si difficile à découvrir qu'il ne l'aurait pas trouvé lui-même si une fée ne lui avait offert une pelote de fil aux propriétés merveilleuses. Lorsqu'il la lançait devant lui, elle se déroulait d'elle-même et lui montrait le chemin. 6) Le roi allait cependant si souvent auprès de ses chers enfants que la reine finit par remarquer ses absences. Curieuse, elle voulut savoir ce qu'il allait faire tout seul dans la forêt. Elle donna beaucoup d'argent à ses serviteurs. Ils lui révélèrent le secret et lui parlèrent de la pelote qui savait d'elle-même indiquer le chemin. Elle n'eut de cesse jusqu'à ce qu'elle eût découvert où le roi serrait la pelote. Elle confectionna alors des petites chemises de soie blanche et, comme sa mère lui avait appris l'art de la sorcellerie, elle y jeta un sort. 7) Un jour que le roi était parti à la chasse, elle s'en fut dans la forêt avec les petites chemises. La pelote lui montrait le chemin. Les enfants, voyant quelqu'un arriver de loin, crurent que c'était leur cher père qui venait vers eux et ils coururent pleins de joie à sa rencontre. Elle jeta sur chacun d'eux l'une des petites chemises et, aussitôt que celles-ci eurent touché leur corps, ils se transformèrent en cygnes et s'envolèrent par-dessus la forêt. La reine, très contente, repartit vers son château, persuadée qu'elle était débarrassée des enfants. Mais la fille n'était pas partie avec ses frères et ne savait pas ce qu'ils étaient devenus. 8) Le lendemain, le roi vint rendre visite à ses enfants. Il ne trouva que sa fille. - Où sont tes frères ? demanda-t-il. - Ah ! cher père, répondit-elle, ils sont partis et m'ont laissée toute seule. Elle lui raconta qu'elle avait vu de sa fenêtre comment ses frères transformés en cygnes étaient partis en volant au-dessus de la forêt et lui montra les plumes qu'ils avaient laissé tomber dans la cour. Le roi s'affligea, mais il ne pensa pas que c'était la reine qui avait commis cette mauvaise action. Et comme il craignait que sa fille ne lui fût également ravie, il voulut l'emmener avec lui. Mais elle avait peur de sa belle-mère et pria le roi de la laisser une nuit encore dans le château de la forêt. 9) La pauvre jeune fille pensait : « Je ne resterai pas longtemps ici, je vais aller à la recherche de mes frères. » Et lorsque la nuit vint, elle s'enfuit et s'enfonça tout droit dans la forêt. Elle marcha toute la nuit et encore le jour suivant jusqu'à ce que la fatigue l'empêchât d'avancer. 10) Elle vit alors une hutte dans laquelle elle entra ; elle y trouva six petits lits. Mais elle n'osa pas s'y coucher. Elle se faufila sous l'un d'eux, s'allongea sur le sol dur et se prépara au sommeil. 11) Mais, comme le soleil allait se coucher, elle entendit un bruissement et vit six cygnes entrer par la fenêtre. Ils se posèrent sur le sol, soufflèrent l'un sur l'autre et toutes leurs plumes s'envolèrent. Leur peau apparut sous la forme d'une petite chemise. La jeune fille les regarda bien et reconnut ses frères. Elle se réjouit et sortit de dessous le lit. Ses frères ne furent pas moins heureux qu'elle lorsqu'ils la virent. Mais leur joie fut de courte durée. 12) - Tu ne peux pas rester ici, lui dirent-ils, nous sommes dans une maison de voleurs. S'ils te trouvent ici quand ils arriveront, ils te tueront. -Vous ne pouvez donc pas me protéger ? demanda la petite fille. "Non ! répondirent-ils, car nous ne pouvons quitter notre peau de cygne que durant un quart d'heure chaque soir et, pendant ce temps, nous reprenons notre apparence humaine. Mais ensuite, nous redevenons des cygnes. " 13) La petite fille pleura et dit : "Ne pouvez-vous donc pas être sauvés ? - Ah, non, répondirent-ils, les conditions en sont trop difficiles. Il faudrait que pendant six ans tu ne parles ni ne ries et que pendant ce temps tu nous confectionnes six petites chemises faites de fleurs. Si un seul mot sortait de ta bouche, toute ta peine aurait été inutile. Et comme ses frères disaient cela, le quart d'heure s'était écoulé et, redevenus cygnes, ils s'en allèrent par la fenêtre. 14) La jeune fille résolut cependant de sauver ses frères, même si cela devait lui coûter la vie. Elle quitta la hutte, gagna le centre de la forêt, grimpa sur un arbre et y passa la nuit. Le lendemain, elle rassembla des fleurs et commença à coudre. Elle n'avait personne à qui parler et n'avait aucune envie de rire. Elle restait assise où elle était et ne regardait que son travail. 15) Il en était ainsi depuis longtemps déjà, lorsqu'il advint que le roi du pays chassa dans la forêt et que ses gens s'approchèrent de l'arbre sur lequel elle se tenait. Ils l'appelèrent et lui dirent : - Qui es-tu ? Elle ne répondit pas. -Viens, lui dirent-ils, nous ne te ferons aucun mal. Elle secoua seulement la tête. Comme ils continuaient à la presser de questions, elle leur lança son collier d'or, espérant les satisfaire. Mais ils n'en démordaient pas. Elle leur lança alors sa ceinture ; mais cela ne leur suffisait pas non plus. Puis sa jarretière et, petit à petit, tout ce qu'elle avait sur elle et dont elle pouvait se passer, si bien qu'il ne lui resta que sa petite chemise. Mais les chasseurs ne s'en contentèrent pas. Ils grimpèrent sur l'arbre, se saisirent d'elle et la conduisirent au roi. 16) Le roi demanda : - Qui es-tu ? Que fais-tu sur cet arbre ? Elle ne répondit pas. Il lui posa des questions dans toutes les langues qu'il connaissait, mais elle resta muette comme une carpe. Comme elle était très belle, le roi en fut ému et il s'éprit d'un grand amour pour elle. Il l'enveloppa de son manteau, la mit devant lui sur son cheval et l'emmena dans son château. Il lui fit donner de riches vêtements et elle resplendissait de beauté comme un soleil. Mais il était impossible de lui arracher une parole. A table, il la plaça à ses côtés et sa modestie comme sa réserve lui plurent si fort qu'il dit : -Je veux l'épouser, elle et personne d'autre au monde. 17) Au bout de quelques jours, il se maria avec elle. Mais le roi avait une mère méchante, à laquelle ce mariage ne plaisait pas. Elle disait du mal de la jeune reine. « Qui sait d'où vient cette folle, disait-elle. Elle ne sait pas parler et ne vaut rien pour un roi. » Au bout d'un an, quand la reine eut un premier enfant, la vieille le lui enleva et, pendant qu'elle dormait, elle lui barbouilla les lèvres de sang. Puis elle se rendit auprès du roi et accusa sa femme d'être une mangeuse d'hommes. Le roi ne voulut pas la croire et n'accepta pas qu'on lui dît du mal. Elle, cependant, restait là, cousant ses chemises et ne prêtant attention à rien d'autre. Lorsqu'elle eut son second enfant, un beau garçon, la méchante belle-mère recommença, mais le roi n'arrivait pas à la croire. Il dit : « Elle est trop pieuse et trop bonne pour faire pareille chose. Si elle n'était pas muette et pouvait se défendre, son innocence éclaterait. » Mais lorsque la vieille lui enleva une troisième fois son enfant nouveau-né et accusa la reine qui ne disait pas un mot pour sa défense, le roi ne put rien faire d'autre que de la traduire en justice et elle fut condamnée à être brûlée vive. 18) Quand vint le jour où le verdict devait être exécuté, c'était également le dernier des six années au cours desquelles elle n'avait le droit ni de parler ni de rire et où elle pourrait libérer ses frères chéris du mauvais sort. Les six chemises étaient achevées. Il ne manquait que la manche gauche de la sixième. Quand on la conduisit à la mort, elle plaça les six chemises sur son bras et quand elle fut en haut du bûcher, au moment où le feu allait être allumé, elle regarda autour d'elle et vit que les six cygnes arrivaient en volant. Elle comprit que leur délivrance approchait et son cour se remplit de joie. Les cygnes s'approchèrent et se posèrent auprès d'elle de sorte qu'elle put leur lancer les chemises. Dès qu'elles les atteignirent, les plumes de cygnes tombèrent et ses frères se tinrent devant elle en chair et en os, frais et beaux. Il ne manquait au plus jeune que le bras gauche. À la place, il avait une aile de cygne dans le dos. Ils s'embrassèrent et la reine s'approcha du roi complètement bouleversé, commença à parler et dit : 19) - Mon cher époux, maintenant j'ai le droit de parler et de te dire que je suis innocente et que l'on m'a faussement accusée. Et elle lui dit la tromperie de la vieille qui lui avait enlevé ses trois enfants et les avait cachés. Pour la plus grande joie du roi, ils lui furent ramenés et, en punition, la méchante belle-mère fut attachée au bûcher et réduite en cendres 20) Pendant de nombreuses années, le roi, la reine et ses six frères vécurent dans le bonheur et la paix.
Trad. de Baudry, E.du Chatenet, P. Durand, E Grégoire et L. Moland, I Lartigue, A. Guerne.
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